Un livre

Fabrice Gaignault, ed. Arlea

Un homme qui allait mourir fut en partie sauvé par un livre.

Je vous parle d'un livre, c'est son titre tout simplement, et pourtant ce livre est plus qu'un simple livre, il est un hommage à tous les livres que l'on emporte avec soi, que l'on offre, que l'on garde.

Fabrice Gaignault nous parle ici du livre qui sauva Primo Levi, l'écrivain italien déporté à Auschwitz et auteur de Si c'est un homme [au passage, un livre que tout le monde devrait lire au moins une fois dans sa vie].

Le 15 janvier 1945, Primo Levi est interné à Auschwitz, les Allemands sont en train de quitter le camp tandis que les Russes sont en chemin pour le libérer.

Primo Levi, lui, est à l'infirmerie, le Revier, il a la scarlatine, une fièvre de cheval, et il est enfermé avec d'autres déportés.

Au moment de quitter le camp, un médecin grec lui jette un livre, un geste qu'il accompagne de ces mots cyniques " tu me le rendras quand on se reverra".

Ce livre, Primo Levi en parle dans Si c'est un homme. Il s'agit de Remorques de Jean Vercel, un écrivain breton assez connu avant-guerre, il a même eu le Goncourt en1934. C'est un roman écrit en français. Pour Primo Levi qui est privé de "papier imprimé" (sic) depuis le début de sa déportation, il le saisit comme une véritable bouée de sauvetage à laquelle il va s'accrocher.

Il commence sa lecture dans l'après-midi du 17 janvier alors qu'avait lieu le dernier appel général réunissant 67 000 déportés qui vont partir pour les marches de la mort.

L'enfer extérieur rejoint l'enfer que vivent les marins de Remorques aux prises avec un naufrage. Et Primo Levi réalise qu'il parvient à lire la langue française, les mots imprimés vont l'accompagner malgré la fièvre, la peur, la mort partout.

Un livre. N'importe lequel si vous avez l'impression qu'il a été écrit pour vous. Un livre. Et qui les vaut tous.

Fabrice Gaignault écrit avoir mis des années pour écrire ce texte très court (84 pages) mais qui dit l'essentiel de ce que la lecture apporte à l'humain.

Il raconte comment la littérature a permis à des déportés de résister à la barbarie, il nous fait rencontrer Charlotte Delbo, Jacques Lusseyran, Chalamov.

Il démontre comment un simple livre peut devenir une porte ouverte sur l'humanité. Un livre refondateur. Un livre que Primo Levi garda toute sa vie comme un talisman.

Et par là même, pour la libraire que je suis, je trouve qu'il rend le plus beau des hommages à l'objet de papier. Tous ces livres que j'ouvre jour après jour avec la même émotion, le toucher du papier sous les doigts, l'odeur, le poids entre les mains, l'imprimé. Il faut lire cette description de Primo Levi redécouvrant un vrai livre, le humant, l'ouvrant, le regardant pour ne jamais oublier la chance que l'on a de pouvoir lire comme on veut, ce que l'on veut.

Un livre est un cadeau que nous offre Fabrice Gaignault. Lisez le, offrez le, faites le voyager.

PS A l'heure où j'écris ces lignes, Un livre est sur la liste de deux prix le Femina Essai et le Renaudot Essai, j'en appelle aux jurés ... s'il vous plaît !